dimanche 24 mars 2019

Six poules. En silence.


Mots du lait, ai-je écrit sur le carnet de G.
Trois mots

écrits mais dits d’abord, modulés.
Tenter le possible saut, celui qui s’écrit silence, sans mots.
Et le diable, justement, gît sous la pierre, le galet, le rocher.
Je n’écris que peu, à peu, très peu.
Méfiance rime avec silence.
Maintenant nous avons six poules, une blanche, une noire, quatre rousses.
Quel renard hante la nuit ?
Dans une maison vide, on a besoin de vaisselle et de draps.
Le renard le sait qui hante la campagne noire.
Ni lui ni moi n’écrirons la mort des oiseaux.
Enroulés dans les draps nous attendrons son retour.
En silence.

mardi 12 mars 2019

poémémoire





Et hier relecture d’Emaz. Si vivant en son écriture, ses remarques. A propos de la mort de Vargaftig par exemple. Pensée idiote : si l’un a pu écrire à propos de la mort de l’autre, les voilà à égalité. Assise dans la presque pénombre, je parcourais les pages, m’arrêtant sur tel ou tel passage. Et je suis tombée sur cette phrase : «  Décidément le passé passe mal, ou même pas du tout. Poémémoire. » Peau, planche, lichen. Et cette question : « Quelle est la couleur de la déception ? » Et pour finir, un mot aimé d’Antoine Emaz : erre. Pour aujourd’hui, avec le froid matin clair, ce sera suffisant.
12 mars

jeudi 7 mars 2019

"On veut toujours les mêmes histoires..."




Clairière est un mot-lumière

« On veut toujours les mêmes histoires, inlassablement comme tous les enfants. Même quand on  sait la fin, le couperet, la petite guillotine. » C.K.


 
dessin SD
La clairière vaste s’ouvrait aux regards, libre de présence. Aucun danger en vue, nota le chevreuil. Suivi de ses compagnons, il sortit du couvert des arbres pour s’avancer vers la neige. Bambi et sa mère avançant vers. Rond de lumière, flaque glacée où poser délicatement ses sabots. Il se retourna. Les autres le suivaient à pas comptés. Prendre la tête d’un groupe n’était pas facile, mais refuser ce qui lui avait été confié, amener ses compagnons à une vie meilleure que celle qu’ils avaient eue de leur vivant, impossible. Le livre lu sur les genoux d’une grand-mère ? Brouter la neige les rassasiait, buvant et mangeant le peu dont ils avaient besoin pour continuer. Le chevreuil les avait conduits vers cette halte, au milieu des arbres dénudés, poussé par un désir de clarté. La biche guidant le faon. Clairière, mot-lumière, rêva-t-il un instant. La mère et son enfant ? C’est alors qu’il distingua, blanc sur blanc, un grand oiseau qui fouaillait la neige fraîchement tombée. Au léger bruit de leurs pas, l’animal se redressa.

Que fais-tu si loin de la mer et des océans ? demanda le chevreuil, tandis que ses compagnons approchaient et faisaient cercle.
Et vous, qui êtes-vous si bizarrement assemblés ?
Que t’importe. Nous sommes des animaux des forêts. Ce n’est pas ton cas, fit remarquer la corneille.
Oiseau de malheur, je n’ai rien à te dire, je suis aussi libre de faire ce qu’il me plait que toi !

Certainement, soupira le cerf, certainement. Allons, la clairière est vaste. Nous pouvons y tenir tous sans nous importuner.

Mais qui êtes-vous pour vivre ensemble ?
Des animaux comme toi ! criailla la corneille.
Il me semble que nous sommes différents, hasarda le loup, et je ne saurais dire en quoi, mais il me semble…

Et puis tu viens de loin, toi, soupira le chevreuil.
Vous non ?
Dans un sens, oui.

Le silence s’installa parce que tout d’un coup personne ne trouvait quoi que ce soit à dire concernant la situation. Ça arrive aux humains comme aux animaux, se dit le cerf, que la rencontre rendait mélancolique. L’oiseau qui se tenait devant eux, agressif et vivant, comment lui expliquer ce qui leur était arrivé ? Les humains n’étaient-ils pas les ennemis des goélands et des animaux sauvages ?

L’océan est une forêt pleine de ressources mais les humains détruisent tout avec une telle facilité, reprit le goéland. Ils s’attaquent à tout depuis qu’ils ont armes et embarcations puissantes. Ils ont laissé beaucoup de déchets au fond des mers et sur la terre.

Notre mémoire est courte, soupira la corneille.
Justement, gouailla le goéland,  savez-vous que les baleines fabriquent du cérumen comme les humains et que l’on peut lire dans cette cire comme sur une tablette mésopotamienne l’histoire de leurs vies et des accidents de parcours d’une existence entière, le saviez-vous ? Ce cérumen est très volumineux, un volumen à lui seul, ajouta-t-il comme pour lui seul.

Un livre ouvert, donc ? interrogea le loup.
On y lit la joie calme de l’enfance et le désordre de l’adolescence mais surtout la colère et la peur dont sont victimes, adultes, ces grands mammifères chassés par les hommes, déclara le goéland en colère.
(Avait-il lu lui aussi ces livres qui racontent les chasses que mènent les hommes contre les animaux sauvages ?)
Les chasseurs, soupira l’ourson, ils tuent les mères et leurs enfants.
Ensuite il leur faut une besace en peau de bête pour emporter avec eux tout ce savoir enfoui au sein des animaux plantes arbres dans une oreille de baleine.
J’ai lu beaucoup, derrière mon poêle, reprit le loup.

Mais qui êtes-vous à la fin ? Les animaux ne lisent pas les livres des hommes ! Ils ont la nature, l’eau des fleuves et des mers, les arbres et les nuages en guise de bibliothèque.
(Voilà une réponse qui a le mérite d’être sans appel, pensa le chevreuil.)
Nous sommes…hasarda le cerf, une espèce en voie de disparition.

Animaux lecteurs, ricana la corneille.
Vous qui aimez tant les livres, vous souvenez-vous de Kotick le phoque blanc et comment il sauva ses congénères en les entraînant au pays des vaches de mer pour échapper au massacre des hommes ?
Rien de tout ça n’est fini ni ne finira avec notre mort, soupira le loup, qui avait lu l’histoire.

Et comment les hommes se sont partagés la terre et la mer au point qu’aujourd’hui tout est brouillé de la géographie ? Les guerres des humains d’aujourd’hui sont la suite de celles qu’ils ont menées hier.
Nous sommes dans un pays de paix, soupira la corneille, du moins faisons-nous semblant de le croire. On m’appelait Dulle Griet, ajouta-t-elle à l’intention du goéland, quand je me déplaçais humainement.

Pour moi, répondit le grand oiseau blanc, on peut m’appeler du nom que l’on veut, je ne suis pas un homme. Pour certains je suis Kurt, pour d’autres Piotr, et d’autres encore aiment me nommer John. Tout dépend des pays et de ceux que je survole.
Étrange, soupira le chevreuil. Il a fallu que je me décide à porter ce nom sur mes bois, chevreuil de la réconciliation, parce que la forêt me le demandait, la nécessité de stopper le combat, d’arrêter les bataille. Moi qui ne suis pas un mâle ! Il m’arrive de pense que ce velours qui les recouvre est à notre image, le printemps nous verra disparaître.

Au profit des querelles ? hasarda le goéland.
Le verbe nous appartient encore. Pour combien de temps, je n’en sais rien ; on nous a accordé de vivre sous cette apparence pour une durée dont nous ignorons tout. Hantant cette forêt sommitale, nous allons et venons, discourant et rêvant, jouant à poursuivre une existence dont nous n’avions pas idée. Lorsque quelqu’un, quel que soit l’animal, nous rejoint, nous découvrons peu à peu quel humain il était, ignorant si ce nouveau venu sera le dernier. Quand nous t’avons vu arriver, étonnés de ton vol et de sa précision, si blanc sur la neige, inattendu, je me suis demandé si tu étais un humain mort, revêtu de plumes et d’élégance, conclut pensivement le grand cerf.

Il y a une décharge pas très loin d’ici, hasarda la renarde.

Les nouvelles se répandent vite parmi les vivants, dit le goéland, acquiesçant à la remarque de la rusée. Nous avons besoin sans cesse de nous nourrir. Mais vous ? de quoi vous nourrissez-vous ?




































dimanche 3 mars 2019

Texte forestier


Texte forestier

Disgraziato obligé parler forêt, obligé mâcher épines de pin, mélèze, noisettes, mousses et lichens, bouche devient gueule à meuler végétaux de toute sorte, ce qui pour un loup est un comble, loué soit la sylve qui irrigue le sang, l’empêche d’épaissir et d’empâter les mots, en lieu et place de carne, jeune ou vieille, agnelle volée ou brebis malade, sous la langue, croche la faîne, embaume l’haleine, loup deviens-je, loup que sais-je, m’emporte le guide, m’égare la bête sauvage, m’oublie mon ancienne mémoire bipède, me dresse contre tronc d’arbre odorant, le compisse, laisse derrière traces embaumées, sylve devient amicale forestière, sente bruissante foulée sur quatre pattes pour mieux la pénétrer, disgraziato ringraziato, triangle bleu aperçu espoir de neige, truffe au sol chemine, ramené à nature poilue et terreuse de carnivore, à fouir enfouir fuir un destin de sang