mardi 29 janvier 2019

Lundi 28 janvier, j'ouvre l'anthologie à la page 582 et découvre la cabane, mot d'enfance.



Mort d’Emmanuel Hocquard. Poésie sans accent donc, aujourd'hui. Pour amis et amies. Morts et vivants, anges rieurs et diables pleureurs. Le fil au doigt, la table jonchée, le ciel grincheux. Mais ne pas mettre d'accent. Sur le mot poezi. Embroussailler le lundi à coups d’aiguille. Tailler la haie. Ou plus modestement, tailler ses mots. En retaillant ses maux. Sur l'anthologie d'Yves Di Manno, à la page 182, il y a à lire et à manger. le texte se nomme Un test de solitude.

Cabane est un mot de l'enfance. Construire une cabane en forêt, dans les arbres, etc...
Cabane est aussi un souvenir de Wittgenstein. 
(...)
L'été dernier, je me suis construit une cabane à Bouliac, dans l'ancien atelier d'Alexandre.
J'y viens souvent pour réfléchir et pour écrire. Quand je manque de pain, je vais en acheter à Fargues, avec Alexandre, qui m'accompagne.
Devant la fenêtre de la cabane, nous avons construit une mangeoire en forme d'antéfixe pour les oiseaux en hiver. 

 Aller en forêt. Celle en soi, hors de soi, cabane de fil et de bois, de Jean-Marie Gleize et de papier.
 En forme d'antéfixe étrusque. Maman mésange, écrit l'un, mama, l'autre, "mais aime-t-il la misère de sa mère?" (De Dadelsen), l'anthologie ne se refermera pas aujourd'hui.

28 janvier

jeudi 24 janvier 2019

La meule de l'autre été/ André du Bouchet et le loup qui lisait beaucoup...



J’étais un garçon solitaire, mais j’étais vivant, je lisais des livres que j’aimais ( veux-tu que je t’en fasse la liste ?), je voyageais très loin du poêle derrière lequel, tu vas dire que tu sais tout ça, je me terrais à l’écart de la colère maternelle, alors que dois-je faire si je ne puis ni tuer ni me tuer, ni comprendre quoi que ce soit de ce qui m’arrive ? Et maintenant, peau contre peau, mon nouveau combat ?
Effectivement tu as beaucoup lu et tes parents t’ont instruit dans la religion. Est-ce que ça te sert encore aujourd’hui, je n’en sais foutre rien. Ça pourrait, ça devrait, mais parfois ça embrouille tout et il faut une bonne couturière aux doigts agiles pour débrouiller le mystère. L’histoire de Job par exemple, que t’a-t-elle appris ? Et celle de Zlateh t’a-t-elle donné goût de vivre ? Un ricin qui fait de l’ombre puis sèche sur pied, est-ce une bonne manière de rappeler à l’homme sa faiblesse ? Et la baleine de Jonas, de le faire rêver ? Car je suis sûre que tu t’es nourri de contes en place du lait que ta mère t’a refusé. Est-ce ton père qui t’a pourvu en récits ou ta nourrice inquiète ? Tu vois, je ne sais pas tout sur toi, mais je connais un peu les garçons. Ils aiment les histoires et parfois elles les libèrent et d’autres fois les empêchent de rejoindre la forêt.
La petite voix avait forci, haussant le ton, à cause du vent de plus en plus froid menant vacarme d’enfer, mais le loup n’avait pas encore l’usage de ce qui l’enveloppait et dont il aurait pu se servir pour se protéger, tout s’apprend comme le reste, aurait dû encore expliquer la voix, mais à trop faire la leçon, on n’arrive qu’à fermer les esprits et ce loup, on a pu le constater plusieurs fois, avait une âme rétive malgré la mégère dont il était l’enfant et qui avait cru, un peu vite, qu’on dresse les fils comme les chiens et les chevaux,
Quant à l’histoire de Zlateh, commença-t-il, Aaron n’est ni Jonas ni Tobie, seulement un petit garçon à la recherche d’un abri. Dans nos prés, il y avait des meules et après la lecture du conte, je ne les ai plus jamais regardées de la même manière et ce mot de meule, à l’école en ville, ils ne savent pas qu’on peut s’en faire une cabane tiède pour supporter le froid des nuits, mais comment le sauraient-ils, eux qui jamais n’ont manqué de rien et pour qui une chèvre n’est qu’une bête à exploiter,
Quand les hommes se sont mis à domestiquer la nature, d’un chevreuil ils ont fait une chèvre,
Et d’un loup, un chien, je le sais, eux-mêmes ont été domestiqués perdant eux aussi leur sauvagerie,
Et nous voilà réunis, si tu veux raconter une histoire pour apaiser ta colère,  nécessaire viatique pour reprendre la route ?
Par laquelle commencer, il y en a tellement qui ont rendu ma captivité plus douce, Huckleberry Finn, Ulysse le rusé ou le petit Aaron étaient de bien meilleurs compagnons et plus fraternels que ceux dont tu me demandes de les considérer comme mes frères. Je t’obéirai cependant et les rejoindrai car je n’ai aucun moyen de m’échapper, de quitter cette forêt et cette fourrure qui m’affuble, aucun espoir de retrouver le poêle et ma mère féroce, tu as raison de me conseiller le calme plutôt que de m’enferrer dans le rejet et la colère, mais de si loin me revient la nostalgie de ma prison d’enfance que cette liberté triste me semble pire, un purgatoire infini, enneigé et gris où la menace est omniprésente, va-t-il encore neiger, je suivrai plus facilement leurs traces dans la neige fraîchement tombée, une telle lassitude me prend, à croire que la mort n’a rien changé et que nous errons de Dante à Blake sans la moindre chance de rencontre âme qui vive, à moins que l’enfant perché haut dans l’arbre, laissant tomber son livre, nous rejoigne d’un saut et à nouveau enchante ce gel qui nous entoure, mais rien de ça n’arrivera, seulement l’ennui à gros flocons brouille le regard et donne envie de pleurer, grande envie d’une meule où se serrer peau contre poils, nous ne mourrons jamais, murmurent-ils, et moi non plus, dans les livres on vit éternellement comme dans cette Histoire de paradis dont je ne me lasse pas non plus, tandis que toi, tu t’éteindras si survient quelque pluie acide !
Tu crois donc à mon existence ? reprit la Forêt de sa petite voix tranquille.
La meule de l’autre été scintille. Comme la face de la terre qu’on ne voit pas.[1]














[1] André du Bouchet, Face de la chaleur

vendredi 18 janvier 2019

Niwaki: un mot lointain pour le Petit


Avec l’enfant, nous avons planté des arbres, deux pins d’Alep dans un pot et le troisième à côté d’un hêtre tortueux. Nous lui avons donné pour compagnie un beau calcaire riche d'un fossile, ramassé presque au même endroit que les petits arbres.

L'enfant a touché le petit pin en terre, et lui a dit de bonnes paroles, avec la pelle, a mis de l’humus que nous avions ramené, et ensuite l’a arrosé.
Je me suis demandé si l’arbre que nous avions extrait de sa terre natale du Contadour allait accepter de reprendre. J’avais lu un peu plus tôt un texte de Pierre Bergougnoux qui rappelle combien nous nous sommes coupés de toute pensée « magique ». Bercer un plant de maïs nous paraît-il de la superstition ? Sans doute. Que va penser l’enfant de ce que nous avons accompli avec la plantation des trois pins du Contadour ? Ne lui avais-je pas demandé de prononcer une phrase bienveillante pour accueillir le petit arbre exilé ? D'une terre haute à une plaine. Toujours au sud.
Son nom ne nous doit pas nous tromper, le pin d’Alep est autochtone, ce qui ne l'empêche pas d'être envahissant. N’a d’oriental que le nom. Voué à vivre peu et souvent mal. Là où nous avions trouvé les trois petits arbres, on passerait bientôt le tracteur pour agrandir la plantation de lavandes.
Plus tard, en voiture, l’enfant nous a raconté une histoire. Ses parents étaient malades, puis ils sont morts, alors il les a plantés dans un pot et a eu beaucoup de frères et sœurs. Puis il nous a donné le nom d’un arbre, Ginko biloba, dont nous avions ramassé des feuilles d’or en novembre, un arbre qu'il aime bien.
Que disait-il à sa manière du lien entre la vie et la mort, la présence et la dissémination ?
Ces derniers temps, nous avions pas mal navigué entre les livres de Pierre Lieutaghi et de Francis Hallé. Et puis il y avait ce musicien rencontré qui taille les arbres en nuages et crée un jardin extraordinaire.
Revenus en plaine, nous avons voulu à notre tour renouer avec nos plus anciens compagnons.
Et surtout relier la main du plus jeune d’entre nous à une espèce vieille de plus de 140 millions d’années.

Reste à attendre que la vie continue en pot et en terre.
Sur terre aussi.
18 janvier






mercredi 9 janvier 2019

Botanique vagabonde au Contadour


Ellébore, ai-je crié joyeusement en retrouvant le nom de la fleur sous son image, dans la petite flore des Alpes, à Banon, chez l'amie V.B., non loin de la forêt où nous l’avions croisée. L’accord entre la plante et son nom, m’a rempli de joie. La reconnaître, la nommer, se souvenir d’avoir appris une fable où le mot était présent, voilà de quoi réjouir au moment où tout s’effondre. Les naturalistes, comme pour minorer son élégance et sa beauté sauvage, en plus de la lettre H à l’initiale, lui ont accolé l’adjectif fétide. Cousine de la Rose de Noël, l’ellébore est aimée des fourmis qui disséminent ses graines. Je ne sais pas si les lièvres en raffolent, mais c’est par son nom dans la graphie utilisée par La Fontaine que j’ai d’abord connu la plante, dans ces deux vers où le Lièvre s’adresse à la Tortue : 
Ma Commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore
.
La plante servait dans l’Antiquité à soigner la folie. N’importe, le nom sent bon. Soigner la folie, est-ce encore possible avec un peu d’ellébore sans H ?
Et puis il y a la pariétaire.
Parietaria judaica
Plante des murailles mal aimée que Pierre Lieutaghi réhabilite avec humour, la nommant « pauvresse des herbes sauvages » et lui rendant sa part de beauté, elle, la pégueuse, la moche, celle que l’on expulse des jardins la rendant allergène, lui imputant toute sorte de maux jusqu’à mener campagne contre elle, puisqu’elle est la mauvaise parente des orties à qui désormais on trouve tant d’utilités. La plante, le souligne Pierre Lietaghi, suit l’homme depuis le Néolithique, s’enracinant sur les ruines et dans les habitats rupestres. Plante pariétale qui s’accomplit dans les constructions et les ruines des hommes, comme si elle annonçait la catastrophe finale.
Peut-être est-ce là la raison de sa mauvaise réputation ?
Quant au pin d’Alep, le voilà devenu arbre nuage par la magie du vent et du jardinier.