Premier matin.
Chaque matin est premier.
Je ne suis pas montée jusqu'au village de Premier, au-dessus de Romainmôtier.
Retour à la maison.
Nous avons pris le petit-déjeuner.
Bosseigne et moi.
Le café vient toujours du Mexique.
Comme la poésie de Karla Olvera.
Dans son recueil arrivé pendant que j'étais en train de m'essayer en Suisse à parler une autre langue que la maternelle, il y a un poème qui porte le nom de notre chien. Vadim. René Char avait écrit pour son chien Tigron. Et voilà notre Vadim, qui lentement court dans la page espagnole de Karla O: perfectamente negro, labrador,
y perro.
Perfection du poème.
Perfection du titre du livre: Cuando la nieve caiga en el Mediterraneo.
Notre maison aussi se trouve dans le livre.
Et son nom.
C'est un début, a dit Bosseigne.
Je n'ai pas demandé un début ?
Je me suis tu. Buvant et mangeant.
Soignant le mal de tête revenu.
La fenêtre de la pièce où je prenais mes petits-déjeuners et repas m'a un peu manqué.
L'or de la pluie.
Un peu, ai-je dit encore à mon parent, mais ici l'or éclate au jardin.
Il s'est tu. Dans ma bouche se mêlaient des noms et des lieux. Plateaux et collines.
Comment expliquer ce qui s'était passé là bas. M'avait rassasié. Chants d'oiseaux.
Chemin devenu sentier.
Sentier des fils et de fil, à suivre avec patience. Retrouver les nuages. Ceux d'ici.
Ceux de Karla Olvera se nomment-ils nubes?
Présents dans la feuille dentelée sur la couverture, ils permettent d'entrevoir ce qui s'écrit derrière eux.
Si je le pouvais, je traduirais à Bosseigne les poèmes de la poète mexicaine.
Plus le temps va, plus les désirs de langues se multiplient. Comme s'ils multipliaient, ou plutôt comme si elles (les langues) multipliaient l'existence de celui qui les parle. De même le romanche ou le français de Suisse romande accélère cette impression et donne à la langue que je parle habituellement une autre démarche, plus souple. Langue/marche. Un couple.
Hein, dit Bosseigne.
Rien. Rien de clair.
A propos...
Oui?
Ce nom de Claire justement...
Et de Denise, ai-je ajouté. Mon parent a haussé un sourcil. Ce sont deux soeurs et j'ai précisé à l'intention de mon parent, suisses et jumelles. Comme moi. Et poètes aussi, comme Karla.
Hein, a redit Bosseigne, cette fois penché par-dessus la table du petit déjeuner.
Oui, ce rein surnuméraire, tu sais bien.`
Stupéfaction de Bosseigne.
Du Mexique tu passes à la Suisse. Bon. Pourquoi pas. Ensuite de cette poète mexicaine à deux jumelles suisses et poètes. Et tout à trac (première fois que mon parent emploie cette expression, ai-je noté mentalement) tu nous donnes deux informations: tu aurais un rein supplémentaire et tu serais donc la moitié d'un couple de jumelles, sans parler de ton origine suisse. C'est beaucoup pour un retour. Explique-toi.
Rien à expliquer. le fait d'avoir un rein supplémentaire serait la trace d'un jumeau existant qui aurait ensuite disparu. Il y a toute une littérature sur le sujet. Quant aux origines, je sais ce que tu en penses. Tu n'ignores pas combien notre famille...
A pu être suisse, oui, c'est vrai, mais de là..à te dire la moitié...
C'est une image, Bosseigne, juste une image. Juste, je n'en sais rien. Mais ce rien est tout de même une trace. Voilà tout.
Bien, a conclu mon parent.
Et nous avons débarrassé la table du petit déjeuner en silence, laissant à la journée le temps de commencer.
Chacun son travail, a marmonné Bosseigne en refermant la porte de son bureau.
Je voulais voir où en était le jardin.
Après tout, j'en avais le temps.
Nous verrons demain ce qu'il y a à faire ou pas.
Et je suis sortie.
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