lundi 16 septembre 2013

Robert Walser, dont la production littéraire peuple 20 volumes...

Cher mon parent Bosseigne cher,

Ne vois pas dans cette étrange adresse trace de folie.
Même si à force de marcher en équilibre sur les lignes walsériennes et soutteriennes, il en reste forcément quelque fantaisie foutraque. Territoires de la folie intime, la Suisse que ma mère n'a pas connue. Si les hommes aiment les fleuves, ai-je écrit dans le récit d'Emilio, les femmes préfèrent la mer.
Vraiment? Cette phrase, je crains d'y entendre la voix de ma mère, elle qui rêvait de Suisse mais préférait entre tous les paysages ceux que nous offre la mer. C'était sa spécialité, ce genre de phrases à l'emporte-pièce. Ainsi plus personne (surtout pas moi) ne pouvait parler après elle. Ce qui m'étonne, finalement. Car sa mère venait d'Yverdon, au milieu des montagnes, au bord d'un lac paisible, un endroit où elle ne sera jamais venue.
Tandis que moi.
Les mains vides.

Hier marché dans la vallée du Nozon.
Avant-hier aussi. Sur le chemin de Croy.
De Pologne (le collectionneur de vélo) à Suisse, il n'y a qu'un pas.
A faire en traversant le Haut-Jorat en compagnie des amis aimés. Tu me suivrais?

Ici je vis bien différemment de nos habitudes. Prends mon déjeuner seule et dans la cuisine. Dehors il fait trop frais et le soir parfois il pleut. Rien à dire à mon interlocuteur puisqu'il est absent. Absent du paysage et de la conversation. Des bonheurs pourtant surgissent du souvenir des promenades. Une courbe dans un pré, si émouvante et qu'un peu de lumière souligne. La tache rouge d'une promeneuse en haut d'un sentier qui débouche sur le ciel.
Des noms aussi comme celui d'Envy.
Et le don d'amitié qui est si belle et tendre chose.

C'est mon dernier jour ici. J'aurais voulu lire les livres qui m'intéressent, nombreux sur les étagères, emmagasiner davantage de tournures idiomatiques prises ici et là. Apprendre un peu de romanche. Conserver en mémoire un mot comme bisse qui me plaît beaucoup et que m'a donné Claire. Y parviendrai-je? Et esparcette et d'autres encore comme ce natel qui désigne le téléphone portable ici. Je voudrais savoir par coeur le petit livre que C. m'a offert hier et qui est si beau, oui, revenir vers notre maison et te réciter ses poèmes au matin et t'entendre dire: ta mémoire s'améliore!
Dans le train peut-être forcerais-je un peu mes limites.

"Il avait besoin de la foule comme beaucoup de grands solitaires."

Oui, et les livres de Walser peuplent notre bibliothèque. Et notre maison solitaire est traversée par la foule de ses mots et de ses pas. N'empêche.

Je parcours mon chemin
qui me conduit  peu loin, 
me ramène chez moi;
puis sans mots, ni émoi,
me voici éclipsé.

Ce sentiment de devoir disparaître, s'effacer du paysage laisse entendre autre chose qu'une résignation taoïste. Celle de Gustave Roud par exemple. Le poète Robert Walser est éclipsé par d'autres. Il subit cette éclipse. A la fois s'en contente et presque s'en vanterait. Et en même temps toute sa colère triste affleure, me semble-t-il, dans ce court poème. Je le revois buté et rageur s'éloignant à grands pas dans ses promenades en compagnie de Carl Seelig.

Je vois avec plaisir que le fil noir dont je me sers a considérablement diminué sur sa pelote. L'encre n'a pas la même évidence à disparaître.

As-tu fait les démarches dont nous avions parlé à propos du fauteuil?
Du fil à l'encre puis au tissu, ma pensée avance à sauts et à gambades.
D'ailleurs ce verbe de gambader convient si bien à Walser, que j'ai souvent cru le voir marcher à cette allure. Il y a de l'enfance dans sa manière de marcher. Et de la vigueur également. Vigousse  était Robert Walser, lui qui était capable de marcher 80 kilomètres en une journée. Difficile à suivre.

Ici quelques conseils de Bashô que je mettrais bien à profit:

Va toujours à pied.
Mange simplement.
Ne dors jamais deux fois dans la même auberge.
Evite les bavardages inutiles.

Ce qui voudrait dire que j'arrête ic ma lettre pour courir marcher sous la pluie!

Je finirai avec ce tendre silence que m'a offert Claire K.
Silence du marcheur, seul son pas.
Silence d'ivresse de soi hors de soi.

J'avais l'étoile polaire dans les cheveux
cassiopée au poignet
                la grande ourse n'était pas
loin de notre signe
                 à nos tempes
                 le temps pressait

                 Pourquoi ne pas avoir été
jusqu'au bout
                 de l'énigme?

C.Krähenbühl, Vol d'épervières.

Et voilà tout.





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