vendredi 8 mai 2020

(37) fable du désherbage




Dasai, l’écrivain japonais, aimait les mauvaises herbes ou du moins, avouait-il, sa paresse le poussait à les aimer. Tout en regardant son frère désherber activement, frère dont il était l’hôte après la destruction de sa maison pendant les bombardements, il se régalait à ne rien faire contre les pousses mauvaises qui envahissaient le petit jardin.
Ich, lui, les aime presque toutes sauf une, malgré son nom que certains trouvent séduisant et de bon ton.
Il lui voue même une sorte de haine mêlée de dégoût. Son odeur pour lui annonce déjà sa nocivité et ses ridicules petites fleurs tubulaires ne présagent rien de bon.
L’arrachage n’en est pas difficile mais malodorant.
Ich aime le compagnon blanc, la pariétaire, le bouton d’or et même l’ortie.
Et puis le chant des oiseaux intarissable de jour comme à la nuit tombée et l’envol d’une huppe surprise. Tout au jardin plaît à Ich, sauf, vous l’aurez reconnue, la puante aristoloche.
Bien que ce nom rime avec Gavroche et le sympathique galoche, pour Ich elle reste sa pire ennemie.
Mais il sait que l’arracher ne sert qu’à la rendre invisible peu de temps. Son entêtement à survivre dépasse l’entendement.
Une de ses amies, pour plaider la cause de l’infernale plante, lui a expliqué avec force détails qu’elle attirait un papillon rare sur ses fleurs et qu’il fallait donc la protéger.
Ich a écouté.
Il aime bien cette amie des papillons.
Quand elle est repartie sur son vélo, Ich a repris l’arrachage des aristoloches rescapées.
Tout en pensant au jardin du frère de Dasai, acharné lui aussi à traquer les mauvaises herbes, Ich  se rassure en se disant que sa seule ennemie, c’est elle, l’aristoloche et rien ni fera, même son nom de princesse moche, et ravi de sa trouvaille, il repart en sifflotant vers le tas à brûler.
Ich a l’âme jardinière aujourd’hui.



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