Sur l'usage de la métaphore, dit Bosseigne.
Oui?
Je pensais à des noms allemands.
Des noms?
Des noms de poètes et de musiciens. A mes yeux, la seule justification allemande.
La poésie?
Non, les poètes et les musiciens.
Mon parent est insaisissable. Au moment où je pensais en avoir fini avec lui sur un tel sujet, le voilà qui le remet en selle. Chevauchée du matin sous la pluie.
Et mon parent de se mettre à réciter un poème.
Avant même d'avoir bu le café matinal.
Bosseigne!
Les sentiments
mon ami
écrivit Robert Schumann
sont des étoiles
qui ne nous guident
qu'en plein jour
Un poème de Sebald. Mort dans un accident de voiture en plein jour.
En Angleterre.
Oui.
Un écrivain que tu aimais.
Beaucoup, à cause.
Nous nous sommes tus, brusquement saisis par une crainte un peu superstitieuse. Pourquoi dire ce qui nous fait aimer un écrivain, il est plus normal de dire que c'est son écriture qu'on aimait, non?
Ce poème est devenu à son tour une étoile, a commenté Bosseigne.
Et Sebald le nom d'un sentiment, ai-je poursuivi.
Ce qui nous lie les uns aux autres.
Les sentiments.
Et cette manière, par le poème, de traverser le temps. Le temps que nous mettons à comprendre nos sentiments.
Il y a des poètes qui détestent qu'on évoque ce mot. Sentiment. Comme si de sentiment on arrivait tout de suite à sentimental.
Sentimental bourreau, tu te souviens?
Oui, Bosseigne, je me souviens. Mais je n'en dirai rien. Je continuerai à rester dans le nom de Sebald, dans le visage sur la couverture de la revue, dans les yeux dessinés par son ami Jan Peter Tripp, dans le mot allemand unerzählt. Oui, à rester. Et le mot ce matin sera oui. Je verrai aussi un visage détourné, celui de sa fille par exemple. Et le sien, attentif à la réponse qui ne lui sera pas donnée. Ni ce matin, ni jamais.
Te rappelles-tu
le gris si singulier
de la lumière
lorsqu'en mars
nous étions
sur l'île aux paons
C'est curieux ce que tu as dit tout à l'heure sur la justification allemande.
Je voulais parler de la langue allemande.
Et?
Sa seule justification, pour l'étudier, voire la parler, la lire, c'est la poésie.
Sebald.
Oui, mais on peut ajouter d'autres noms.
Evidemment. Mais lui a poussé très loin cette question.
Surtout dans sa poésie.
Pas seulement, et son départ de la terre natale a été une tentative de réponse.
Comme un poète portugais a choisi d'avoir plusieurs identités?
Oui.
Je n'avais plus envie de parler avec Bosseigne. Je redoutais comme souvent une pirouette inattendue. Qui me laisserait sans voix pour la journée. Pourtant ce nom de Sebald.
C'est à partir d'une lettre de Robert Schumann. Une véritable.
Bosseigne avait envie que la conversation se poursuive ce matin. La rêverie pluvieuse ne l'incitait ni au silence ni à l'étude.
Une lettre de jeunesse adressée à son ami le poète Jean Paul. il ne sait évidemment pas ce qui va lui arriver. Il ne sait ni l'amour de Clara et leurs enfants, ni la folie. Il ne sait rien et redoute déjà tout. Il écrit: "Les sentiments sont les étoiles qui ne nous guident que par ciel clair tandis que la raisone st une aiguille magnétique qui continue d'orienter le navire lorsque même les étoiles sont cachées et qu'elles ne brillent plus."
J'ai essayé moi aussi.
Toi?
Oui, d'écrire les sentiments.
Les décrire?
Non, les écrire. Sebald dans son poème dit mieux que le musicien l'inquiétude.
C'est un poète. Il arrive à ouvrir la fenêtre bien davantage. Et les étoiles ici brillent plus que la raison.
Mais ne nous conduisent pas moins à la destruction.
Finalement, a conclu mon parent, on en revient à ce que tu disais des mots à collectionner. Aujourd'hui, ce serait le mot sentiment.
Oui, Bosseigne, ou étoile.
Nous avons terminé notre petit déjeuner.
Tout rangé, balayé, lavé.
Chacun retournant à son rêve du jour.
Et voilà.
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