Une
dorne
Pendant que le poète James Sacré lisait, tantôt se tenant
de profil, tantôt face au public qui l’écoutait, un mot a été lâché dans la
rue, AÉRODRÔME, caillou jeté au travers de la vitre de la librairie, qui s’est
aussitôt superposé au poème lu et l’a emporté avec lui – au dehors, dans le
ciel d’avril.
Plus tard, j’ai remarqué que le jeune poète Y.M., à côté
de qui j’étais assise, portait des souliers noirs dont l’un des deux avait
perdu sa boucle.
Encore plus tard, le poète J.S. m’a fait remarquer à son
tour que les parisiens se moquaient de son emploi du mot souliers, lorsqu’il
disait une paire de souliers. Nous avons évoqué ensuite nos mères et leur
manière de parler, moi me rappelant l’usage que faisait la mienne de
l’expression rez-de-chaussée qu’elle prononçait rue de chaussée, et lui, me
donnant le mot DORNE comme exemple de ce parler à la fois local et maternel
issu du patois poitevin que sa mère utilisait pour désigner le tablier tenu par
les pointes, le transformant en une sorte de panier dans lequel elle
transportait aussi bien les œufs que les grains ou encore les salades. Ce mot
n’a pas d’équivalent en français. Je me suis ressouvenu du verbe s’embroncher pour l’emploi duquel je me
faisais rappeler à l’ordre à l’école. Ce verbe non plus n’a pas d’équivalent en
français.
Plus tard, le lendemain, nous avons parlé de poésie et de
prose. Et aussi des titres de nos livres. Je lui ai fait part de mes doutes au
sujet du titre du prochain recueil qui doit être publié, patrie portable,
portative, patrie à emporter avec soi bien pliée dans la dorne ?
Puis le train a emporté le
poète.
Et encore bien plus tard, j’ai mis un tablier pour
ramener du petit bois pour le feu, car l’hiver était revenu dans la maison que
le poète avait quittée.
Et le mot dorne est resté à
affruiter à côté de la cheminée.
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