Donc, nous en étions aux hypothèses et différentes tentatives que fit Bosseigne pour donner un sens à ce qui, à ses yeux, n'en avait guère. Car, en effet, rien de plus banal que faire recouvrir un fauteuil et ensuite, après avoir acquitté le prix du travail de restauration, de le récupérer!
Bosseigne et le fantôme
Un détail important, c'est que Bosseigne habitait assez loin de la personne qui recouvrait son fauteuil. Mais comme je la lui avais chaudement recommandée, il n'avait pas hésité à faire les kilomètres le séparant de la tapissière. Bosseigne est une personne confiante. Et là, il pouvait se fier à la fois à quelqu'un de sa famille et ensuite à une amie proche de ce dernier. On ne confie pas un fauteuil comme celui dont avait hérité Bosseigne à n'importe qui. Il y avait de quoi être rassuré. Ai-je dit que Bosseigne avait longuement mûri sa décision de changer le tissu qui recouvrait son fauteuil? Ma mère n'allait-elle pas regretter de le lui avoir légué, m'avait-il demandé. Je l'avais rassuré sur ce point comme sur d'autres, par exemple, emmener ce fauteuil si loin de la maison familiale, était-ce vraiment une bonne chose? A toutes les interrogations de Bosseigne, j'avais opposé ma certitude que nous faisions le bon choix, le seul possible, tant la couleur verte qui le recouvrait nous déplaisait à l'un comme à l'autre.
Donc emmener ce fauteuil à la montagne était une solution rationnelle. Bosseigne récupérerait son fauteuil d'ici quelque temps, un fauteuil à la fois nouveau, à cause du tissu choisi et qui révélait une certaine audace esthétique de sa part, et ancien, celui qu'il avait vu chez nos grands-parents et ma mère ensuite. Un fauteuil de mémoire, pourrait-on dire, et de mémoire ancienne et familiale.
Or, dès la fin de l'été, Bosseigne se demanda ce qui se passait. Aucun coup de fil de la tapissière, alors qu'elle avait promis à Bosseigne de le tenir au courant. L'hiver passa sans apporter la moindre nouvelle du fauteuil, ni de la tapissière. Interrogée, je ne sus que dire à Bosseigne. Une carte pour le jour de l'an n'eut aucun effet. Rien.
La neige recouvrait le plateau, rendant les communications difficiles, me renseigna une autre amie qui habitait non loin de l'atelier de tapisserie.
Au printemps suivant, je décidai d'appeler moi-même la tapissière chez qui Bosseigne avait conduit son fauteuil. Nous avons devisé de tout et de rien et j'ai fini par aborder le sujet. Oui, elle y pensait, mais avait eu beaucoup de travail et pris du retard. Tu sais ce que c'est, me confia-t-elle. Je ne sus que répondre, n'ayant jamais de ma vie eu de fauteuil à recouvrir. Dès que possible, dis à ton parent, je m'occuperai de son fauteuil.
Bosseigne fut un peu rasséréné par la conversation dont je lui fis part. Et, ajoutai-je, comme je monte en juin en Cévennes, j'en saurai davantage, et qui sait, te ramènerai peut-être ton héritage rénové. Je ne sais pas s'il fut convaincu mais il arbora le grand sourire dont il est coutumier quand il est serein.
Mais, en juin, je n'eus aucune nouvelle du fauteuil par mon amie, comme si le sujet était dérisoire ou oiseux, en tout cas, le sujet ne fut pas abordé et elle ne m'invita pas dans son atelier. Patience, me dis-je, patience. Juin est la saison des mariages et je savais que mon amie avait du travail à cette période. J'avoue que je fus un peu lâche, me disant que de toute façon ce n'était qu'une question de temps, à présent.
Quatre ans plus tard, le fauteuil de Bosseigne n'était toujours pas revenu.
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