Ai-je pensé en fouaillant le feu qui menaçait de s'éteindre.
J'étais seule. Il avait clopiné dans le jardin, puis ouvert la grille et hop, parti sur l'avenue.
Sans moi.
Besoin de vivre ma vie d'éclopé, avait-il déclaré en refusant toute aide.
Une manière de t'échapper, de la maison, des histoires de fauteuil.
Pas seulement, a-t-il dit, pas seulement.
Bosseigne est un drôle de pistolet, et j'ai ri en utilisant mentalement cette expression vieillotte. Gouape est venue tout de suite après, à cause d'une conversation que j'avais eue la veille avec une amie, très chère amie, la Couturière espagnole. Que guapa!
Est-ce que Bosseigne est une gouape?
Dans le sens espagnol, si.
Dans la vieille signification française, non.
En Argentine, Bosseigne danserait le tango, une fois sa cheville réparée et son fauteuil revenu.
Il aurait droit alors au qualificatif de guapo dans le sens mauvais garçon séduisant.
C'est comme ses cheveux, me suis-je souvenu. Ce qu'il en disait quand il était plus jeune, lorsqu'il les avait rasés. Puis Bosseigne avait évoqué une histoire de protection nécessaire. Quelque temps auparavant, mon parent avait amené chez nous une jeune fille qui se teignait en noir. Aile de corbeau, avait décrété ma mère qui était encore bien vivante. Bosseigne avait expliqué, après son départ, que la jeune amie qu'il nous avait présentée se protégeait de toute forme de trahison en transformant sa chevelure en casque noir car, lui avait-elle dit, les blondes sont enclines à la trahison et devenant brune, je ne trahirai personne et aucune blonde ne me trahira.
C'était un raisonnement étrange, avais-je essayé de faire entendre à mon parent, toutefois à l'insu de la vigilance maternelle prompte à décocher ses flèches à la moindre occasion.
Pas du tout, nous devons trouver notre mode de protection. C'est impératif, sinon comment survivre. Un chapeau peut faire l'affaire. J'en connais qui s'abritent sous un feutre ou un bob et ce n'est pas ridicule mais simplement efficace.
Toi, par exemple, avait-il repris, mais j'avais fui.
Ma mère vit encore, ai-je murmuré. Pas la tienne.
Je ne lui ai pas laissé entendre la dernière phrase. Déjà partie.
Moi, par exemple.
Parlons-en.
Plus tard, une cheville luxée. Et aussitôt la liberté est devant. Impuissance et liberté, tu comprends?
Et il est parti sur l'avenue en clopinant.
Et moi dans la maison à ruminer entre gouape et guapa, je me suis décidée à préparer un risotto pour le retour de Bosseigne.
Et c'est à ce moment, entre les mots, que j'ai repensé au fauteuil de mon parent et à la Tapissière.
Quelle fête ce sera, oui, quand Bosseigne aura retrouvé son fauteuil.
Et à voix haute j'ai ajouté:
nous danserons le tango argentin,
parce que le temps aura passé
et que sa cheville sera guérie.
Oui, quelle fête.
L'année prochaine.
Sans doute.
Ce sera.
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