Bosseigne avait le choix.
Il a donc décidé de tout arrêter. Marcher, conduire, plus rien de tout ça. Pendant.
Un mois, a-t-il répondu à ma question.
Un temps d'arrêt.
Oui, a-t-il dit encore. Arrêt sur place. Pour contempler de loin la montagne.
l'idiot de Soutine |
Mais ne pas s'accrocher. A la montagne. Non.
Être interdit de quitter la maison. Son entour. Rester dedans ou juste sur la terrasse.
Son pied emmailloté tel un nourrisson de Noël, à transporter délicatement d'une pièce à l'autre.
Eviter de lui faire remarquer, à lui le sans enfant, qu'il porte son fils à la pointe de son pied. Droit. Une envie qu'en général tout le monde récuse. Ne pas bouger, rester là, un pied blessé. Rimbaud au moins faisiat des kilomètres, un pied blessé près de son coeur. Mais Bosseigne non. Que veut-il faire de ce pied arrêté, il ne me le dit pas.
Pied de père, ai-je eu envie de dire à haute voix, mais non, ne pas l'énerver inutilement, le laisser dans cet état de tranquille oisiveté dont sans doute il avait rêvé.
Bosseigne avait le choix. De ne pas. Il a choisi de.
Je regarde mon parent avec une sorte de respect étonné. Pourquoi choisir l'immobilité alors que.
Mais la question ne sera pas posée. Puisque.
Oedipe, ai-je encore pensé en le regardant. C'est lui, mon parent, presque frère. Mon cher Bosseigne aux sautes d'humeur d'humour. Nous vivons ensemble depuis la disparition de ma mère (et de son fauteuil). Là aussi un choix. Du reste, qui a déjà partagé en deux une maison? Il faudrait une scie géante et surtout un moyen de déplacer la moitié qui s'en va. Alors. Mais tout ça est idiot. Maternellement idiot.
Ce qui arrive, ce qui n'arrive pas.
La pluie, par exemple. Ou ce pied gonflé, emmailloté, protégé.
Le pied arrêté de Bosseigne.
Et la bande velpo qui s'entortille autour des orteils.
Bosseigne ne s'est plaint à aucun moment. Ne regrette pas son choix. Au contraire. Du coup se fait servir comme un prince oriental. Il parle de son prochain voyage en Iran, se prend pour un poète persan, met du bleu sur ses yeux et roucoule de manière un peu ridicule en ouvrant la fenêtre.
Pour attirer les tourterelles. Turques, précise-t-il.
J'ai transporté un vieux fauteuil dans la salle à manger pour qu'il profite du feu et du soleil, quand il y en a. Ce n'est pas le sien, toujours en Cévennes chez la Tapissière, mais le mien, un vieux véhicule à rêve que les chats habituellement occupent et là, Bosseigne, son pied enturbanné sur une chaise.
Un turban, ça se met sur la tête, rectifie mon parent.
Oui, mais le mot nous transporte au pays des derviches et de Rumi. Non?
Je préfère les fontaines et les tapis, le chant des tourterelles et celui des amants.
Là, mon Bosseigne me cloue le bec, m'englue les cils, me laisse sans voix.
Amants. Quels amants. Cette histoire de pied cacherait un amour malheureux. Pistes que le vent a brouillées au sable du désert.
Tabriz, reprend Bosseigne, c'est là où nous irons.
Nous.
Toi et moi, en voyage, un jour, quand j'aurai repris en main mon pied!
A cause de l'Iran et de la couleur bleue.
Mais non. Que toi ma parente.
Se trompe à ce point?
Oui, la lettre Z.
Ah.
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