On se déplace toujours par amour, dit Bosseigne.
C'est une manière de voyager, d'aller d'est en ouest.
En l'occurrence, mais je n'en ai pas fait la remarque, d'ouest en est.
Bosseigne a parfois de ces sortes de sentences droit sorties du florilège familial, ai-je pensé en le quittant.
Tout en remontant l'avenue, après l'avoir laissé à ses travaux, je me suis demandé s'il n'avait pas raison.
N'étais-je pas partie vers l'ouest à cause d'un poète que j'aimais?
Ne partirais-je pas à l'est à cause de mon histoire familiale?
Oui, Bosseigne voit clair et ce, bien plus souvent que moi, ai-je encore pensé en me dirigeant vers la bibliothèque. Je comptais lire les oeuvres d'un poète suisse, Georges Haldas. Encore une fois, le pays maternel!
Bosseigne avait ajouté:
on se déplace pour retrouver un amour perdu ou pour le fuir. Mais c'est toujours d'amour qu'il est question dans le voyage. C'est sans doute la raison qui fait que je reste chez moi, a-t-il conclu en riant.
Pourtant il avait proposé de m'accompagner en Suisse, me suis-je dit, en remplissant la fiche d'emprunt.
La dame de l'accueil a froncé le sourcil : vous n'avez pas écrit votre nom très lisiblement. Haldas? J'ai dû m'excuser. Non, en effet, c'est le nom de l'auteur que je veux lire. Elle a relevé la tête et m'a regardé. Vous devez écrire votre nom dans la case prévue. Son ton était un peu sec, ça ne l'amusait guère, mes confusions, elle en voyait trop, des gens dans mon genre, distraits et oisifs, tout juste s'ils ne vous présentaient pas le code barre du livre qu'ils désiraient.
De toute façon, Georges Haldas, nous ne l'avons pas dans nos fichiers.
Voilà, c'était catégorique. Mais, a-t-elle ajouté, nous avons Ramuz, et bien d'autres écrivains suisses, Roud par exemple, que vous devriez aimer.
Je suis restée un peu interloquée.
Il est rare que des employés de bibliothèque connaissent la littérature suisse. Bien sûr, il y a parmi eux des lecteurs, voire de grands lecteurs. Mais me proposer Gustave Roud!
Je me suis souvenu un peu méchamment d'une attachée culturelle qui écrivait le nom de l'écrivain suisse comme la couleur de la queue du renard.
C'est un écrivain que j'aime beaucoup, ai-je répondu. Dont je possède la correspondance avec Philippe Jacottet. Mais je voulais lire Georges Haldas, voyez-vous.
Je ne lui ai pas dit que j'aimais Roud à cause de la couleur fauve. Et du grand cerisier en fleurs. Et du prénom Aimé. Je me suis tu en souriant parce que j'étais contente. Comme Bosseigne, cette femme un peu sèche me parlait elle aussi de l'amour qu'il y a au bout de chaque voyage. Vous voulez autre chose, a-t-elle repris, plus aimablement.
Non, rien. Mais ce n'est grave, je relirai la correspondance de Robert Walser.
Vous parliez de Gustave Roud.
Oui, mais les lettres de Walser m'emportent très loin et c'est ce dont j'ai besoin en ce moment.
Je suis assez d'accord avec vous. On fait beaucoup de foin autour des écrivains voyageurs mais on ferait mieux de lire les oeuvres de Robert Walser et de Gustave Roud.
Je suis sortie de la bibliothèque. Il faisait moins froid. Les pivoines du parc étaient en fleurs, ai-je constaté, malgré la fraîcheur de ce printemps.
Je me suis décidée à rentrer boire un café à la maison.
Qui sait? peut-être Bosseigne aurait un moment à me consacrer.
Je pourrais lui demander où en sont ses travaux, feindre de m'y intéresser. Oui, le retenir un peu loin de sa table de travail, loin de son tabouret d'écolier.
Parce que, quand il aurait récupéré le fauteuil hérité de ma mère, il deviendrait un intellectuel à temps complet, totalement pris par sa recherche et je ne serais pour lui qu'une parente à charge.
Voilà ce que je me suis dit en descendant l'avenue jusqu'à la maison.
Qu'est-ce qu'un écrivain voyageur ? Jules Verne ne quitta guère la France !
RépondreSupprimerIl y a tous ces endroits en nous bien plus vastes que le monde !
RépondreSupprimervrai et faux voyage...écrire/lire! Se déplacer à petits pas, à grandes enjambées, cow boy du matin, ermite méditatif du granit, petit lutin des bois, aventurière du froid, je prends tout!
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