lundi 13 mai 2013

Loin de Bosseigne, marcher vers l'ouest toujours

Pour un sanpatri comme l'est Bosseigne, comme nous le sommes tous dans notre famille, marcher vers l'ouest, toujours, a semblé la chose la plus évidente, la plus naturelle aussi. Nous partons vers l'ouest comme l'ont fait nos ancêtres, disait la mère de Bosseigne et la mienne ajoutait, parfaitement, c'est la seule direction possible pour des sans patrie.

sanpatri avec besace

Alors quand vient le moment de lever son cul de sa chaise, le sanpatri regarde la carte, pose son doigt sur un point vers l'ouest et dit: c'est vers cet endroit qu'il faut marcher.

Qu'il soit parti de Suisse, d'Italie ou d'ailleurs, plus à l'est, le sanpatri se met alors en marche vers l'ouest.

Il en oublie ses soucis, ses histoires de fauteuil, son amour même de la colline qui lui fait face, de la cabane où il abrite ses écritures et fait une valise.

Marcher vers l'ouest est ainsi pour lui marcher à l'écriture.
Il a pris soin de ses pieds, une fois n'est pas coutume.
Il a même emporté une crème assouplissante.
S'imagine en conquérant pacifique, en inventeur de paysage.

Quand il part ainsi, le sanpatri oublie jusqu'à son sexe, son nom et parfois il lui arrive d'oublier sa famille et Bosseigne. Seuls quelques livres amis le rappellent à sa langue première, maternelle, française.

Ses départs, le sanpatri les vit comme un commencement, une fête et chaque fois le voyage lui importe davantage peut-être que l'arrivée. Il aime les salles d'attente, voyant dans cette expression une manière pertinente de décrire l'excitation de celui qui part. Peu importe alors vers où il part, puisqu'il côtoie des voyageurs partis pour les extrémités du monde. Et l'attente convient au sanpatri, convaincu depuis longtemps que cet état apporte plus de satisfaction que l'objet de cette attente, vision sans doute un peu simplificatrice, mais qui apporte beaucoup de consolation.

Pourtant tous les contrôles rappellent au sanpatri en partance que les papiers sont obligatoires pour franchir la frontière entre une langue et une autre, entre, par exemple, le français approximatif parlé dans sa région et le portugais.

On devrait, pense le sanpatri, parler de frontière des langues, plutôt que des pays. Imaginer des papiers linguistiques. Des laisser-passer pour les langues.
Mais il convient, pour le moment, de boucler sa valise et d'y faire tenir les carnets du Barroso qu'un ami cher lui a confiés.
Faire voyager les poèmes vers l'ouest des granits est une bonne manière d'en finir avec l'idée que se font généralement les gens, quand je leur dis que je pars au Portugal, se dit le sanpatri. Ils disent: amusez-vous bien, reposez-vous, etc. Malgré la gentillesse de leurs mots, je ne peux m'empêcher de sentir combien ils oublient ce que tout sanpatri sait de longtemps.

Mais je me tais, pense encore le sanpatri. Au retour, qui sait...Beleù, disait ma mère, pense-t-il encore. Celle qui a donné de son vivant le fauteuil qui était dans notre famille depuis l'exil, ce fauteuil qu'aujourd'hui possède Bosseigne et que la Tapissière a promis, selon Joker, de terminer cet été.

Beleù, c'est-à-dire peut-être en provençal.
En tout cas, au retour de l'ouest.



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