Le mot.
Bosseigne n'a pas d'avis sur la question, m'a-t-il dit au dîner.
Les gens, pour lui, ont leur utilisation des mots. Il m'a rappelé une dispute que nous avions eue avec un de nos parents sur le mot génie.
Hitler était un génie.
Ma colère n'avait été apaisée que par la tranquille assurance de Bosseigne.
Même le dictionnaire ne nous avait pas départagés. Qu'est-ce qu'un génie, après tout.
Génie du mal, avait concédé Bosseigne, ça s'entend.
C'est comme fauteuil, a-t-il ajouté à la fin du repas. Pour toi, c'est un mot maternel. Pour moi, c'est un siège.
Nous avons ri.
Ensemble. Puis chacun est reparti à ses affaires. Lui, sa thèse et moi, la marche immobile dans les forêts du Jura suisse et les montagnes granitiques du Tras os Montes. Occupations humaines. La lune pâle éclairait la chambre. Je suis sortie sur la terrasse.
photo François Ridard |
Et là, le mot biche m'a rattrapée.
D'où nous viennent-ils, ces animaux que nous nommons par des mots?
Ou plutôt, d'où nous viennent-ils ces mots pour désigner les animaux?
Le mot biche serait une altération du latin populaire bistia. La biche sauvage, que l'on trouve dans les romans de chevalerie. En français d'Afrique, la biche désigne l'antilope.
Mais là, pas d'animal, non. Un pot de terre, oui, pour conserver les aliments. Une occupation humaine.
Comme le fauteuil. Aucune biche (l'animal) ne s'est assise dans un fauteuil. A la rigueur, un chien, ai-je pensé.
On a pu poser une biche (le pot) sur un fauteuil.
Ma mère aurait pu tout à fait faire ce geste: déposer un fromage, un saint-nectaire par exemple, dans la biche et en attendant de se rendre à la cave, poser le pot sur son fauteuil, puis l'oublier.
Ou pas.
Est-ce que ma mère avait l'usage d'un tel mot, c'est peu probable. elle en avait d'autres: tian, pile, etc...
Sa langue a emmêlé la mienne, ai-je pensé, ou plutôt, sa langue a dénoué la langue française et l'a abâtardie joyeusement. Je ne sais pas si cet adverbe convient, me suis-je demandé. Ma mère n'aurait pas aimé qu'on évoque de cette manière ma naissance. C'est pourquoi elle a donné de son vivant le fauteuil familial à mon parent. Pour chasser toute confusion. Pour clarifier ma situation dans notre famille.
Biche un peu, a dit Bosseigne en me rejoignant sur la terrasse où je restais à rêver.
Qu'est-ce que tu vois?
Je pense à une amie qui me disait qu'elle avait passé l'hiver à regarder les nuages.
Bicher, un joli verbe, non?
Guincher, piger, un mélange des deux?
Au fait, je lis ton Genêt.
A la recherche de la langue de l'ennemi?
Plutôt l'amoureux, plutôt le bagnard. Il nous éloigne un peu de cette maison, a ajouté Bosseigne en se retournant vers la façade de la maison que la pleine lune éclairait. Et ça nous aide.
A oublier cette histoire de famille en fuite, de fauteuil disparu, de...
Non, à poursuivre notre travail dans les ruines.
La maison n'est pas sur le point de s'écrouler, pourtant!
Il était temps de se séparer. Encore une fois.
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