Mopse, ai-je failli écrire, alors que c'est Bosseigne qui est assis en face de moi. Je n'ai pas dit à haute voix à mon parent cette confusion qui m'est venue en le revoyant, après quelques jours de séparation.
Me suis souvenue de mon premier soir à Bienne.
A Frinvillier.
Village du poème, ai-je pensé plus tard en lisant Denise M.
Village enserrée par la forêt proche.
Celle où marchait Walser.
Noire sous la lune.
A ma première traversée de la ville natale de Robert Walser, je voulais tellement ressentir sa présence que la déception m'avait gagnée. Tendue dans cet effort, j'étais épuisée et, déjà fatiguée par le voyage, j'étais prête à renoncer. J'avais perdu le chemin de l'auberge et roulant au bord du lac, l'agacement me gagnait. Que croyais-je trouver d'essentiel ici qui ne se trouvait pas dans les livres de l'écrivain biennois?
Où se cachait donc mon auberge?
Où était Frinvillier?
Mais il existe de petits miracles qui vous redonnent la force de poursuivre.
Le mot bobet a traversé la route et s'est gaillardement planté devant moi. Ca y est, ai-je pensé, j'y suis.
Je lui ai ouvert la portière et il s'est assis à côté de moi. Je vais te guider, a-t-il soufflé gentiment. Il y a des mots doux comme la caresse d'un chien, ou la main amicale d'un proche sur l'épaule, comme ce bobet, mon Bosseigne, me suis-je murmuré et ensemble, ils m'ont permis de gagner l'auberge où je devais passer la nuit et où la lune m'attendait. Il y avait aussi, je m'en souvenais, ce nom de lieu vu sur la carte, Chalet à Gobet. Et plus tard, un poème, celui de Denise M.
Oui, réconfortée par des mots, et plus tard, par la rencontre d'amis chers.
C'est ainsi que j'ai pu, ensuite, revenir à la maison.
Mon cher Bosseigne et moi ne pouvons plus prendre notre café matinal dehors.
La terrasse est trempée. Les feuilles des figuiers jonchent le sol.
L'automne.
Peut-être.
Mais après la mort de Valmer/Vadim, à quoi pouvions-nous attendre?
Heureusement l'ombre légère et suisse de Walser m'accompagne encore.
Même si Bosseigne refuse de lire ses livres. Il dit: je préfère attendre un peu.
Je ne demande pas quoi. Ni qui. Attendre, ou disparaître?
Un ami a écrit une suite de lettres imaginaires de l'écrivain biennois.
Le titre: Préferisco sparire/ Je préfère disparaîre.
Parfois il m'en vient l'envie. De disparaître.
Surtout quand je vois, dit Bosseigne, tous ces livres inutiles.
Il ajoute: non, pas ceux de ton écrivain suisse, non. Mais tout de même.
Nous revenons alors à Sebald. Lui aussi a écrit son Ritorno in patria.
Mais il ne revenait pas chez lui, ou alors, l'Angleterre était devenue son pays.
De Gênes à Bienne, j'ai traversé des patries. Ville rouge, m'a dit une amie, en parlant de la ville natale de Robert Walser.
Gênes n'est pas la ville natale de Caproni. Mais tout parle de lui là bas et même un ascenseur.
A Marseille, qui parlera de nous, mon Bosseigne?
Mais Sebald, dit Bosseigne.
Oui, faux-semblants, mensonges, inventions.
La patrie est une invention, a repris Bosseigne.
Et nous avons refait ce que nous faisons chaque matin: une nouvelle cafetière pour fêter la mélancolie mouillée de ce matin de septembre. Impossible, a commencé Bosseigne, de faire notre salutation au soleil, ai-je poursuivi, la terrasse, oui, trempée, a-t-il continué, et nos articulations rouillées, mais Sebald, oui, dans ce livre, où, terrassé par un malaise, il pénètre dans un café à Anvers et là, malade, prêt à mourir.
Mais non.
Sa soeur prétend que c'est elle qui était malade et qu'il lui a volé son malaise.
Mais c'est ça, écrire.
Voler?
Capturer. Comme la biche aperçue au vol et ensuite prisonnière des pages.
Ritorno in patria.
Existe-t-il ce poème qui chanterait le muscle élastique de la cuisse
la souplesse des genoux
la grâce d'une articulation
la joie de la course
et les pieds nus sur l'herbe
et nous rendrait vive jeunesse ?
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