Ma vie sans chien, aurais-je pu commencer.
Matin, brumes.
Je prends seule mon café. A travers la pièce flotte la même
brume qu’au dehors.
J’aperçois le haut des arbres par la petite fenêtre qui me
fait face.
Tout est caché dans ce voile léger, à peine doré, que les
pluies récentes ont fait naître.
L’herbe, hier soir, était trempée et nos sandales se sont
vite mouillées à faire quelques pas au jardin, sous les étoiles timides de
cette nuit de septembre.
L’été est fini.
Pourtant une tiédeur reste dans l’air.
Ma vie sans chien.
Au loin, dans la campagne, des aboiements m’ont fait penser
à l’animal qui ne partage plus sa vie avec la nôtre.
Un mot pourtant a chassé la mélancolie matinale, en ouvrant
tout à coup un espace bleu vif au-dessus des arbres.
La veille, un ami venu nous rendre visite avec sa nouvelle
compagne, avait avivé en moi ce sentiment de la perte que rien ne console.
Heureusement, une montgolfière avait surgi, et la joie de cette arrivée avait
chassé la mélancolie naissante. Je m’étais souvenu de l’expression de Michel
Deguy, perte active. A l’absence de l’ancienne compagne de ce visiteur, était
venue se joindre un sourire, le ballon coloré d’une montgolfière survenu
inopinément dans le champ voisin. Et Walser revenait avec nous, me suis-je dit
alors, et le vol. Tout se tenait pour celui qui gardait les yeux ouverts. Et je
repensais à R.W. survolant la Baltique, et mon plaisir redoublait. Il
s’ajoutait aussi cette impression vive qu’avait laissée en moi la lune
au-dessus de Frinvillier. Et la brume, qui du haut du mont, noyait Bienne à nos
pieds. Il me suffit, ai-je pensé, de me souvenir de ces images pour ressentir à
nouveau une forme de joie.
Ce mot qui, ce matin sans Bosseigne attardé sans doute à
dormir encore, était venu de la lecture matinale d’un livre de Patrick Modiano.
Parfois il arrive que, lisant des livres qui nous semblent si parfaits que nous
interrompons notre lecture, leur beauté nous inciterait presque à un silence
total. Mais la joie qu’ils nous communiquent nous pousse aussi à nous mettre à
nouveau à la table d’écriture.
Ce mot, Engadine.
Ma vie sans chien en Engadine ?
Non, mais le
rectangle bleu qu’aperçoit par la fenêtre le narrateur d’Accident nocturne, ouvre aussi pour moi un passage vers une forme
de joie des commencements. Comme si ce mot, nom d’une région de Suisse, pays
que j’emporte avec moi depuis que je l’ai quitté, permettait une échappée loin
des maux et ennuis divers que la vie nous offre souvent. La mort de notre
chien, par exemple, avait privé le jardin de ses courses et aboiements, même si, comme le
faisait remarquer Bosseigne, toujours pragmatique, nous n’aurions plus
d’excréments à ramasser.
Engadine va avec montgolfière. Ce sont mots de voyage qui
élèvent un peu le matin à la dimension d’une course en montagne, mais sans
effort. Le silence aussi, de ce matin sans conversation, avec un fond de café
qui refroidit au fond de la tasse, ajoute à une forme de joie retrouvée. Tant
pis si les amoureux ne sont pas constants en leurs amours. Oui, tant pis, parce
que l’Engadine reste aux rêveurs du matin et que les montgolfières traversent encore
le carré bleu du ciel, entrevu par la fenêtre.
Ma vie, avec chien, en Engadine. Voilà un titre charmant
pour un court récit walsérien.
A suivre, ou à poursuivre, comme dirait le neuvième poète
suisse.
Allons !
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