vendredi 8 novembre 2013

Harmony est perdue: forte récompense

Voilà ce que j'ai lu sur une affichette ce matin, ai-je dit à Bosseigne, en train de se laver les dents dans la salle de bain. A la boulangerie.

Mon parent n'a pas pu me répondre, se livrant à de sonores ablutions. Mal aux dents, mal aux gencives, mal des voyageurs, m'avait-il expliqué le soir précédent.

Sur l'affichette, la chatte était jolie et toute blanche. Un chat qui a coûté fort cher, a commenté la commerçante.
J'ai répondu que la minette ne se souciait guère de sa valeur mais préférait sans doute la liberté d'aimer qui elle voulait.
La commerçante m'a considérée d'un air suspicieux, avant de sourire: c'est vrai, elle ne pouvait pas savoir qu'elle coûtait beaucoup d'argent!
Nous avons un peu ri. C'était déjà assez bizarre de nommer un chat Harmony, aurais-je pu ajouter. Mais la commerçante aurait pensé que j'avais peut-être volé l'animal pour dire des choses aussi étranges. Je me suis souvenue d'avoir vu d'autres affichettes de chats perdus, de chiens aussi, mais plus rarement et des pétitions à signer, en tous genres, depuis le sens interdit de la grand rue jusqu'à l'adoption par les couples homosexuels. J'ai quitté la boulangère avec deux baguettes de pain mal cuit. Comme souvent.


Bosseigne était sorti de la salle de bain, un rictus douloureux sur le visage. Impossible de lui demander si ça allait mieux. Evidemment non. C'est long, ces affaires-là, les dents, les gencives. Un café n'arrangerait pas ses affaires. Ni mexicain, ni colombien et encore moins italien. Du thé?

Il en avait ramené, a-t-il dit; dans le placard, va voir.

Quand Bosseigne est malade, notre petit déjeuner se réduit à des échanges brefs. Thé vert ou thé noir. Ce genre de questions.

Alors, pour égayer notre tête à tête, je lui ai reparlé d'Harmony, la petite persane perdue. Et de Thomas Bernhard et sa persane. Tu te souviens? Je n'attendais de mon parent qu'un hochement, assentiment ou dénégation. Rien de plus.

Mais lui.

Oui, et d'un torrent boueux qui charriait bien des disparus. Le plus souvent noirs et sanglants. Je me souviens aussi de cette femme, la persane, et de son manteau de fourrure, élimé dans ma mémoire. Se serrant dans son vêtement, la persane avait de quoi intriguer le lecteur. Ma bouche me fait mal. Mais je la revois, se tenant près d'un vieux pont, regardant comme nous le faisons toujours, s'écouler le flot bourbeux sous ses pieds. Je n'ai jamais pu oublier sa silhouette et plus encore, le nom que lui a donné pour toujours l'écrivain autrichien. Inséparable de mon désir de visiter l'Iran, Tabriz surtout. Désir que nous partageons, n'est-ce pas et que nous réaliserons, une fois cette thèse terminée et le fauteuil revenu.

Bosseigne!

Par contre, quel est le titre du roman, je ne sais pas. Il est mince et d'un format plus petit que les autres.

Oui.

Allons le chercher, a alors proposé mon parent.
Pas la peine, ai-je dit, le titre, je me le rappelle très bien. C'est Oui.
Je croyais que.
Je sais. C'est un titre ironique; puisque tout relève dans le récit que fait Thomas Bernhard du non. Sauf peut-être le personnage de la persane auquel il met une majuscule. La Persane.

Allons tout de même chercher le livre, a repris Bosseigne. Ouvrons-le au hasard et je suis sûr que.

Nous y sommes allés et:

"...j'ai eu le sentiment que, comem tant de femmes de son âge et dans sa situation, qui vivent dans l'angoisse perpétuelle de prendre froid ou de geler perpétuellement, il ne lui serait plus possible de vivre sans ce manteau, sans ce manteau de fourrure  qui avait pour fonction de l'envelopper..."

Page 13. Voilà. A dit Bosseigne ce dont nous avions besoin ce matin pour répondre à l'annonce de l'harmonie perdue.

La journée peut commencer, a conclu mon parent en rapportant le plateau du petit déjeuner dans la cuisine. Et j'ai pensé: c'est vrai. Et voilà.

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