mardi 12 novembre 2013

Dourgnes, Dausse et Venoge

Ce sont les noms qui.
Uniquement eux?
Non mais beaucoup dans la bouche sont.
Des noms plus que des mots?
Oui, je dirais oui.
Comme un roman alors?
Qui porterait ce titre.
Ou un autre, trois mots comme deuil, durée et damnation?
Non, Dourgnes, Dausse et Venoge, qu'en dis-tu?
Bien trouvé.
C'est tout?

Là mon parent reste sur sa faim. Il voudrait que j'attaque davantage, pas que je cesse le combat à la première offensive. Un peu de ténacité. De courage. Mais je n'en ai rien à faire. Sommeil, froid, envie de se rencogner.

Des noms, ce sont des mots, non?
Oui, mais là, on dit propres, noms propres et on les majuscule à l'initiale. C'est l'aristocratie des mots.
Ah? Tu vois la langue comme une société?
Oui, des vieux, des jeunes mots et puis une hiérarchie entre les uns et les autres. Tiens, les verbes!
Eh bien?
Ce sont les chefs de la police.
Ah...
Une milice en quelque sorte, là, pour faire régner le sens.
Et les adjectifs sont leurs esclaves?
Oui, tu me suis, je vois!
Non.

Bosseigne sait qu'il ne m'a pas convaincue, enfin pas encore. Il va revenir à la charge, je le connais et moi, à ce degré de lassitude où la journée m'a laissée, je ne suis pas de taille à repartir à la charge et mon parent le sait bien, lui qui.

Les noms propres ne suivent jamais un déterminant, rien ne les fait masculin ou féminin par contrainte. Ils sont ce qu'ils sont, Dourgnes, Dausse et Venoge. Intacts et beaux comme de jeunes gens. Telles les villes de Lisbonne, Marseille ou Shanghaï. Ni féminin, ni masculin. On les dit propres et ils le sont, lavés de toute référence au genre. Mais tu dors sur pied, ma parole!

Bosseigne est indigné et moi, ennuyée. Je voudrais faire un effort, briller un peu, mais mon ignorance, ma lassitude, mon écoeurement de moi-même sont les plus forts.

Si on allait...
Se coucher, c'est ça?
Pour ce soir, trop froid, trop noir.
Impropre à la conversation? A être autre chose qu'une matière fatiguée? Un esprit enchifrené, nez bouché et sans gaieté?
C'est ça.

Finissons-en, Bosseigne, je n'ai pas ton talent à poursuivre. Petite joueuse sans endurance, tu as raison.
Je n'entends que le vacarme de mon sang dans mes artères. La pulsation lente d'un corps refroidi. Les draps froids me font trembler par avance. Mais justement j'avance. Vers le sombre, le noir, la nuit. Sans résistance aucune.

Dourgnes, c'est le nom d'un village.
Dausse, un ami de Walter Benjamin.
Et la Venoge coule au pays de Vaud, en Suisse.

Voilà pour l'aristocratie des noms propres.
De ce soir espoir.
Demain un autre espoir?
Oui, suivi d'autres soirs.

Bonne nuit, a dit Bosseigne en quittant la place.
Et moi je n'ai rien dit. Il était déjà parti.


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