Mais je ne suis pas sûre de ce que je vais dire à mon parent.
Nous restons en silence.
Tu es partie depuis trois jours, on dirait un siècle, dit enfin Bosseigne.
Lui ai-je manqué.
C'est de plus en plus difficile.
Quoi?
Parler, ne pas parler.
Nous rions, un peu.
Partir, ne pas partir.
C'est revenir qui est le plus difficile, on a déjà eu cette conversation, non? interroge Bosseigne, un peu distraitement.
oeuvre brodée de Rieko Koga, 2012
Le jardin est couleur or, ce matin. Bourdonnements, vols, silences.
Difficile d'interrompre ce qui se passe là, sans nous, mais de manière très active. Nous continuons à nous taire en aveugles tellement la lumière est puissante.
Je ne sais pas comment tu fais, dit Bosseigne.
Quoi?
Prendre des trains, des moyens de transport fatigants, des visages.
Hein?
Bosseigne s'éclaircit la voix. Il y a une fatigue des yeux, tu sais, à enregistrer tant de visages. Je ne suis pas prêt à faire des voyages! Même mené par l'amour.
Il faudra bien pour le fauteuil!
Nous prendrons une auto, ce n'est pas pareil et les Cévennes, ce n'est tout de même pas une ville capitale.
Il a raison. Bosseigne a raison: je ne sais pas comment je fais. Mais il y a : Rivière.
Comme s'il m'avait entendue, Bosseigne reprend la parole.
Il est vrai qu'une rivière ouvre un peu une ville, l'aère et justement, Paris.
Je n'expliquerai pas à mon parent que ce n'est pas de la Seine qu'il s'agit. Ce serait un effort et l'or du jardin m'en empêcherait de toute façon. Vous l'appellerez: Rivière. Edith Azam.
Et puis, il y a ces sortes de ciseaux pour moucher les chandelles, tu vois ce que c'est, cet objet? ai-je demandé à Bosseigne pour que nous quittions ensemble le lieu de mon étouffement.
Ta mère en avait, dans une vitrine, non?
Au milieu de quelques autres objets.
Non loin de cette vitrine, mon fauteuil, reprend triomphalement Bosseigne, tu t'en souviens? Et hop!
Ciseaux à bougie.
Tu as toujours aimé les outils.
Et les fauteuils à écrire, les chaises, les tables. Et le tissu et le papier. Nous arrêtons la liste. Rivière.
C'est comme cette dame qui recopiait des poèmes sur ses genoux. L'éditeur lui a proposé une table.
Et puis finalement lui a donné le livre.
Vous l'appellerez: Rivière.
Non, ce n'est pas vrai.
Mais si. Un ami m'a dit que ce que nous écrivions du passé pouvait le transformer. Par exemple tu ajoutes une personne qui n'était pas là et tu racontes ce qui s'est passé avec elle et les autres personnes qui, elles étaient réellement présentes.
Tu répares le passé, c'est ça?
Oui, ce qui n'a pas eu lieu a lieu. On peut raccommoder le monde comme une grand-mère reprisait nos chaussettes quand nous étions enfants.
Aujourd'hui on les jette.
Qu'est-ce qui est vrai dans ton histoire de dame qui recopiait les livres?
Justement ça, elle copiait dans son cahier les poèmes avec un stylo bleu, j'ai remarqué ce détail et le cahier était quadrillé, un cahier d'écolier. C'est entièrement vrai. Elle avait l'air un peu craintive des gens qui ne sont pas à leur place et le savent.
Et?
L'éditeur lui a vraiment donné un livre. Pour la faire partir. Pour en finir.
Et hop, c'est ça?
C'est ça.
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