Au chauffeur de taxi qui me demandait comment je pouvais voyager sans bagage, j'ai répondu que je venais de la ville d'à côté et que j'y avais passé la journée.
Il a répondu qu'un voyageur sans bagage n'était pas un voyageur.
Je n'avais rien à répondre.
Si ce n'est ces mots que je n'ai pas prononcés: oreiller de paresse, sur lequel devait s'endormir mon interlocuteur chaque fois qu'il croyait avoir déclaré une vérité incontestée.
Si ce n'est ces mots que je n'ai pas prononcés: oreiller de paresse, sur lequel devait s'endormir mon interlocuteur chaque fois qu'il croyait avoir déclaré une vérité incontestée.
Si j'avais évoqué la Suisse, aurait-il repris les paroles de Boris Vian:" Les Suisses vont à la gare mais ne partent pas."
J'étais un voyageur, j'avais pris le train le matin et étais revenue le soir. L'allée de platanes me parlait de voyages en Syrie. Il suffisait de marcher sur l'avenue et le voyage venait vers nous.
Mon premier suisse a été Cendrars. Transsibérien. Et beaucoup d'autres suisses voyageurs ont suivi, Ella Maillart, Anne-Marie Schwarzenbach.
J'étais un voyageur, j'avais pris le train le matin et étais revenue le soir.
Au soir, de retour à la maison, j'ai ouvert mon Nicolas Bouvier que rien ne peut me faire oublier. Pas même Bosseigne.
C'est à Nicolas Bouvier que nous devons cet oreiller de paresse où ne pas sombrer trop vite.
Mon parent n'était pas rentré. Me laissant la maison comme un espace à réfléchir.
J'avais fini par dénicher dans les photos que prenait de lui Bascoulard à l'aide d'un retardateur ou qu'il faisait prendre à d'autres, un morceau de miroir qu'il tenait négligemment dans la main droite, parfois, plus rarement dans la main gauche, le tenant presque dissimulé dans les plis de son vêtement, regardant droit devant lui.
Lors de ma visite chez mon amie de la ville d'à côté, j'avais beaucoup parlé de Bascoulard.
Et je n'en savais pas plus, revenant dans la ville où je demeure avec mon parent, ni sur lui, ni sur mon engouement pour l'artiste.
Car pour moi, cet homme au miroir restait au centre de mes préoccupations, si l'on peut dire. Un grand livre à lui consacré sur les genoux, j'ai regardé (scruté serait plus exact) ses dessins et ses textes pour y trouver une réponse que je savais ne pas pouvoir trouver.
Il était mon voyage, ai-je pensé. Comme les récits que je lisais sur la Laponie, les Tchoukches, Bascoulard me proposait un voyage immobile. N'avait-on pas évoqué l'errance minuscule de Bascoulard dans la ville qu'il avait quadrillée de ses dessins?
"Le Suisse est errant", écrit Bouvier.
Et il ajoute que le voyage permet l'oubli de soi. Ou une manière d'en finir avec soi-même dans une solitude irréductible. "Le voyage où, petit à petit, tout nous quitte..."
Bascoulard n'était pas suisse.
Mais à sa manière voyageait, d'une langue à l'autre, d'une rue de Bourges à l'autre, d'une cabane à une cabine, d'une vie à une autre.
C'est certainement ce qui me conduit vers Bascoulard, dans la bascule de son nom et de son existence.
Ce miroir tenu, ces robes dessinées et endossées, ces dessins précis dans le trait au point de croire que ce sont des gravures, sont-ils un chemin au milieu des décombres de la mémoire?
La porte a grincé, une voix connue, et aimée, a crié.
Tu es là?
"Un miroir promené le long d'une grande route".
Qu'est-ce que tu dis, a crié encore Bosseigne en entrant dans le salon. Ah, tu es là.
Mon parent avait les bras chargés de nourriture.
Je me suis arrêté à l'épicerie orientale, on va se régaler, a-t-il conclu.
Eh bien, c'est une bonne idée. J'allais faire du feu. On mangera ici.
Tu lisais encore ton Nicolas Bouvier, tu vas le connaître par coeur!
C'est un compagnon, surtout quand tu n'es pas là.
Nous avons ri. Mon parent a déballé ses délicieuses nourritures. A débouché un vin de Turquie et la soirée a commencé.
Ai rangé Bascoulard et Bouvier, remarquant au passage que leurs noms commençaient par la même lettre. Mais le classement de notre bibliothèque n'obéissait pas à ce genre de règles. A aucune d'ailleurs.
Même si mon Bosseigne de temps en temps évoquait la possibilité de classer nos livres.
Puis, à quoi bon, puisque nous seuls nous les lisons.
Un regret, mon Bosseigne, dans tes mots.
Mais aussi une certitude.
Nous avons commencé à déguster nos merveilles orientales.
"Le but ultime(...) devenir plus léger que cendres."
Où Bouvier rejoint Walser sur le chemin de poussière.
Me suis-je encore dit devant le feu joyeux.
Encore de la route devant nous.
Alors j'ai levé mon verre à la belle couleur dorée.
Et j'ai bu, longuement.
En compagnie de Bosseigne,
une fois encore.
Mon parent n'était pas rentré. Me laissant la maison comme un espace à réfléchir.
J'avais fini par dénicher dans les photos que prenait de lui Bascoulard à l'aide d'un retardateur ou qu'il faisait prendre à d'autres, un morceau de miroir qu'il tenait négligemment dans la main droite, parfois, plus rarement dans la main gauche, le tenant presque dissimulé dans les plis de son vêtement, regardant droit devant lui.
Lors de ma visite chez mon amie de la ville d'à côté, j'avais beaucoup parlé de Bascoulard.
Et je n'en savais pas plus, revenant dans la ville où je demeure avec mon parent, ni sur lui, ni sur mon engouement pour l'artiste.
Car pour moi, cet homme au miroir restait au centre de mes préoccupations, si l'on peut dire. Un grand livre à lui consacré sur les genoux, j'ai regardé (scruté serait plus exact) ses dessins et ses textes pour y trouver une réponse que je savais ne pas pouvoir trouver.
Il était mon voyage, ai-je pensé. Comme les récits que je lisais sur la Laponie, les Tchoukches, Bascoulard me proposait un voyage immobile. N'avait-on pas évoqué l'errance minuscule de Bascoulard dans la ville qu'il avait quadrillée de ses dessins?
"Le Suisse est errant", écrit Bouvier.
Et il ajoute que le voyage permet l'oubli de soi. Ou une manière d'en finir avec soi-même dans une solitude irréductible. "Le voyage où, petit à petit, tout nous quitte..."
Bascoulard n'était pas suisse.
Mais à sa manière voyageait, d'une langue à l'autre, d'une rue de Bourges à l'autre, d'une cabane à une cabine, d'une vie à une autre.
C'est certainement ce qui me conduit vers Bascoulard, dans la bascule de son nom et de son existence.
Ce miroir tenu, ces robes dessinées et endossées, ces dessins précis dans le trait au point de croire que ce sont des gravures, sont-ils un chemin au milieu des décombres de la mémoire?
La porte a grincé, une voix connue, et aimée, a crié.
Tu es là?
"Un miroir promené le long d'une grande route".
Qu'est-ce que tu dis, a crié encore Bosseigne en entrant dans le salon. Ah, tu es là.
Mon parent avait les bras chargés de nourriture.
Je me suis arrêté à l'épicerie orientale, on va se régaler, a-t-il conclu.
Eh bien, c'est une bonne idée. J'allais faire du feu. On mangera ici.
Tu lisais encore ton Nicolas Bouvier, tu vas le connaître par coeur!
C'est un compagnon, surtout quand tu n'es pas là.
Nous avons ri. Mon parent a déballé ses délicieuses nourritures. A débouché un vin de Turquie et la soirée a commencé.
Ai rangé Bascoulard et Bouvier, remarquant au passage que leurs noms commençaient par la même lettre. Mais le classement de notre bibliothèque n'obéissait pas à ce genre de règles. A aucune d'ailleurs.
Même si mon Bosseigne de temps en temps évoquait la possibilité de classer nos livres.
Puis, à quoi bon, puisque nous seuls nous les lisons.
Un regret, mon Bosseigne, dans tes mots.
Mais aussi une certitude.
Nous avons commencé à déguster nos merveilles orientales.
"Le but ultime(...) devenir plus léger que cendres."
Où Bouvier rejoint Walser sur le chemin de poussière.
Me suis-je encore dit devant le feu joyeux.
Encore de la route devant nous.
Alors j'ai levé mon verre à la belle couleur dorée.
Et j'ai bu, longuement.
En compagnie de Bosseigne,
une fois encore.
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