dimanche 26 janvier 2014

Cramine nocturne, sans gauloise à torailler...

Ai roulé sans gauloise à torailler et suis revenue dans la cramine nocturne. Face au Ventoux et au Rhône. J'avais entendu au temple ces mots tirés du Livre de Job : rassasié de jours. 
Et la langue a manqué. 

Oui.
Sans Bosseigne, face à la montagne enneigée, face au fleuve. Face.
J'avais laissé mon parent revenir vers sa table de travail à ruminer des phrases de littérature grise. Et j'avais filé. Vers la cévenne. Il faisait un vent frais et les routes sinuaient. A merveille, ai-je pensé. La voiture était douce et la solitude, souple comme un jeune corps.



J'allais à un enterrement. Dans le temple du village, se ferait le service, m'avait dit la fille du mort, un vieux monsieur. Le pasteur avait un faux air de comédien danois.

Beaucoup de monde. 
Le pasteur a évoqué les inséparables, ces oiseaux que seule la mort sépare. 
Et je me suis demandé si Bosseigne et moi.
Rien à voir. Le pasteur parlait d'un couple, un vrai, soixante ans de vie commune.
En roulant, je me suis dit je raconterai à Bosseigne l'histoire de Job. Le rassasié de jours. 

Enfant, pour moi, Job était le nom du papier à rouler de mon grand-père. Les enfants catholiques n'ont pas de connaissance réelle de l'Ancien Testament. A la différence des anglo-saxons. C'est ce que dit souvent mon parent. Nous sommes assez ignorants à la fois du contenu et de la langue biblique. Les anglais, depuis longtemps, apprennent à lire dans cette langue comme dans Shakespeare. C'est ce que répètent à l'envi les écrivains anglophones. 

Pourquoi ai-je à ce point détesté (et déteste encore à certains moments) cette langue, me suis-je encore demandé tout en roulant vers le Ventoux étincelant. Non pas celle biblique, non, mais celle assénée partout, même dans les manifestations qui ont lieu autour de la Méditerranée. Le français a été cette langue ennemie puis. Au lycée, notre impossibilité à prononcer correctement l'anglais. Ma mère: les angalis sont nos ennemis héréditaires. Peuple perfide, ajoutait-elle, même en présence d'une amie anglaise. Langue de l'ennemi que je n'arriverais jamais à aimer vraiment? Celle de Bosseigne en tout cas, oui, la parler, l'entendre. En rentrant je lui annoncerais mon intention.

Les décisions sont de drôles de moments. Il y en a de définitives et d'autres, de remises à plus tard, indéfiniment. Ou déguisées, arrangées de manière à perdre leur caractère de nécessité. Alors, sans gauloise ni verbe autre que ce curieux torailler, je me suis mise à parler portugais dans l'auto qui avançait tranquillement vers le bout du chemin.

Eu sou grandi.
Eu estou com fome.
Você està certo.
Ate amanha. 

Je ne sais toujours pas faire une tilde. Je le constate en écrivant aujourd'hui ce que j'ai dit hier. Parler. Ecrire. Comme une lettre qui s'interpose entre deux autres. Ce -i- par exemple dans toiro. Une manière de s'éloigner de l'espagnol toro ?

En rangeant matin  un livre de Lobo Antunes dans l'étagère réservée à la Littérature, entre Pessoa et Llansol, un papier coloré est tombé. Praça de toiros de Nazarè. Samedi 22 août 1998. Monumental corrida de toiros à portuguesa. Comme si nous retrouvions toujours ce dont nous avions besoin, les mots, la langue, au moment où ils nous manquent le plus. 


Dans le temps, où je me tenais dans le fond, appuyée à la pierre froide, tandis que le pasteur barbu faisait le prêche avec conviction, j'avais senti ma langue se dérober et j'avais décidé de ne pas rejoindre la famille du mort après l'enterrement. Impossible de parler. Rassasié, avait dit le pasteur. Eu estou com fome. Sur la route du retour, je me suis arrêtée pour assouvir une faim dévorante. Fome.

Et ce matin, 
Bosseigne, je prends des cours de portugais.

Voilà ce que je lui dirai tout à l'heure.
Quand il rentrera de sa promenade.

Um café franco o forte?






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