Nulle part c’est partout, as-tu écrit.
Et aujourd’hui ?
Ici comme ailleurs.
Temps perdu et passé.
La pluie est venue hier, et tout le monde, à Mértola,
souriait. C’était une bonne nouvelle. J’avais croisé Geraldine qui se désolait
(en anglais) de la sécheresse.
Plus rien à manger pour les bêtes.
Les chevaux sont
revenus des prés calcinés par le soleil.
L’herbe et les bêtes.
Et puis, dans l’après-midi, après avoir visité le musée
islamique, la pluie tiède et parfumée a rincé les trottoirs et les rues.
L’herbe va reverdir, ai-je pensé.
Le matin nous avions appris la mort de la compagne d’un
ami.
Endormie dans la fin de sa vie, bien trop courte, après
la maladie.
Notre ami a dit : elle est partie, profitez de votre
séjour, ne soyez pas tristes.
Ainsi tout voisine tout le temps. Mais tu le sais aussi
bien que moi, Thomas. J’aime écrire ton prénom parce que c’est le même que
celui de mon fils le troisième. Et aussi parce que pendant longtemps, dans ton
adresse c’était Thoams. Et j’aimais beaucoup penser à toi en disant Thoams dans
ma tête. Ainsi tu n’étais pas exactement toi-même. Il y avait le garçon que je
connaissais et celui qui écrivait des livres. D’ailleurs, sur la couverture de
tes livres, je m’attends toujours à lire Thoams. Est-ce que tes enfants
connaissent ton nom secret ?
Gabrielle est venue ce matin taper à notre porte. Elle
nous a raconté une petite histoire : une dame hollandaise qu’elle a
rencontrée à la fête de la chasse qui a lieu ce ouiquinde à Mértola (capitale
de la chasse !), pendant que son mari était allé chercher un verre de vin
(um copo do vinho), a vite sorti son Smartphone et lui a montré la photo de son
petit-fils. Gabrielle en riant a dit (en anglais) : ici sont réunies les
plus jolies grands-mères et les plus fières aussi !
Tout est si blanc. Il y a un village, m’a-t-on raconté,
où les maisons sont si souvent chaulés que toutes les arêtes en sont adoucies
et arrondies, enrobées comme elles le sont chaque année. Peinture de femmes, village
de neige, où elle ne vient que rarement. Pourtant, au plus haut de Mértola, on
trouve Notre Dame des Neiges. Difficile d’imaginer tes enfants ici en train de
luger ! Pourtant les pentes sont belles. Mais la neige ? J’imagine
que le village où tout est blanc et doux est Silves, là où est né Ibn Qasi dont
la statue équestre se trouve à
Mértola, devant le château, un libérateur si l’on en croit la légende. Silves
que je vois entouré de forêts, comme dans un conte, est une invitation.
La maison est calme, beaucoup de blanc, sauf le rouge des
tomettes. Et le bleu cru d’un meuble où sont posées mes affaires de dessin. Il
y a un beau poêle qui laisse espérer un peu de froid pour l’allumer. Le mûrier
que je vois depuis la table où je travaille n’a qu’une branche de feuilles
d’or. Les autres sont encore d’un beau vert. Bien vif. Et la pluie revient,
drue sur les tuiles et embaume la maison. Joie.
Vous êtes ici pour écrire quoi? m’a demandé un
monsieur qui travaille à la mairie.
Sa femme souriait. Ils attendaient ma réponse.
Heureusement, une dame à la belle chevelure frisée s’est glissée entre nous. Je
suis tunisienne, a-t-elle dit. De Sousse. Ma maison en face de la mer. Et
s’adressant en français à l’autre dame : vous êtes nord africaine, n’est-ce
pas ? Vous en avez parfaitement le type. L’autre dame n’a pas répondu, ni
son mari. Ici ce n’est pas rare que les gens ressemblent à leurs voisins de l’autre
côté de la mer. Et ils en sont assez fiers. Du coup la question que m’avait
posée le mari s’est perdue. Tant mieux.
J’écris des lettres, aurais-je pu répondre. C’est une
activité pleine et entière. Même si ne se pratiquant plus guère. Une manière
ancienne. Presque dépassée d’utiliser la langue. Un exercice, en riant j’ajoute
une ascèse, pour ma voisine, mais elle ne comprend pas le français. Et les
pieds dans le Guadiana, je compose des poèmes. Comme celui-là :
désir de neige
la langue est douce faille
entre sèches broussailles
sinuant jusqu’en bas
où est l’eau qui ne dit rien
fait monter les larmes
la langue, et la faille
jusqu’aux yeux
atténuer peut-être
le sec du cœur qui ne dit rien
deux yeux deux trous
et les larmes les traversent
jusqu’aux joues
de la montagne qui ne dit rien
Je ne sais pas pourquoi la poésie provoque tant de
combats parfois. Son silence fait illusion. On croit les poètes occupés à
désherber le poème et en fait, ils se battent à coups de verbes tranchants. Et
certains se désolent et d’autres se réjouissent tout en se demandant quelle
tenue ils vont porter pour affronter les autres poètes et les mettre k.o.
La poésie comme boxe des mots ? Pugilat du
verbe ? Ou catch de pacotille ?
Ici dans les rues sont placardés des poèmes. Eugenio de
Andrade mais aussi un hétéronyme de Fernando Pessoa. D’autres aussi, qu’il me
reste à trouver. La poésie sur les murs du village voisine avec les noms des
rues et les annonces diverses. Qui lit ces poèmes dispersés dans la cité ?
Les deux poèmes s’attardent sur deux mots, pour l’un, amour et pour l’autre,
ami. Il faut trouver d’autres mots sur les murs des rues et dans les poèmes. À
suivre.
Ce matin, ma première pensée a été pour l’herbe. Est-ce
qu’elle allait reverdir, est-ce que j’allais voir les douces collines de
broussailles redevenir vertes ? Il n’en est pas de l’herbe comme des
humains. Sans cesse elle repousse.
Au bout des branches, les gouttes de pluie.
Quelqu’un court en se protégeant la tête.
L’eau ruisselle. Trace de nouveaux chemins.
Une espérance à suivre.
SD
http://etc-iste.blogspot.fr/2016/10/lettre-sylvie-sans-patrie.html
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